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Chapitre 16

 

 

 

 

 

 

 

           Le début de ce mois de janvier 1982, sans modifier le fond de ce que Lucette et moi partageons depuis une dizaine d'années, nous engage à découvrir une autre forme d'existence. A l'inverse du mode de vie empreint d'indifférence que l'on mène dans les grandes villes, habiter en milieu rural, en ces premières années quatre-vingt, ouvre bien d'autres perspectives pour qui aspire à se sentir utile. Ainsi, nous apprenons qu'il n'est pas rare, dans le cadre de l'animation d'un village, de s'y voir enrôlé du jour au lendemain, pour quelque action d'intérêt public. Du fait, nous nous apercevons promptement que nos occupations quotidiennes, en particulier celles concernant l'hygiène de vie, vont être confrontées à de nouvelles réalités. Celles-ci, bien qu'elles soient loin de nous déplaire, nous placent néanmoins dans l'obligation d'abandonner la gestion du Spiridon Club de Provence au couple Hilt et à Jean-Claude Reffray. Effectivement, à la demande de la mairie (avec laquelle nous avons notamment des contacts pour l'obtention de certaines autorisations concernant les transformations extérieures de notre futur domicile), nous allons nous occuper des enfants d'Auriol désireux de courir.

            L'expérience se déroule, officieusement, sous l'égide du centre culturel du village et, si Lucette et moi en assumons la quasi-totale responsabilité, nous n'omettrons pas de signaler que notre bénévolat reçoit, de temps à autre, l'appui de Chantal Anselmo. Cette jeune femme qui, l'on s'en souvient, nous accompagna aux "24 heures de Niort", s'était spontanément convertie à nos activités pédestres alors que nous courions à Auriol, au gré de certaines périodes au cours desquelles nous avions dérogé (tel que ce fut écrit) à nos habitudes citadines. Sympathique, volontaire et investie d'un altruisme incontestable, Chantal qui est mariée et mère de deux adolescents, aspire de surcroît à un mode de vie qui ressemble à celui que laisse "entreparaître" notre disponibilité. Hélas, m'empresserai-je d'ajouter, à l'instar de toutes celles et ceux dont le besoin de remise en cause fut jugé imputable à la fréquentation des Pantel (ceci n'a jamais cessé de se vérifier), notre nouvelle amie se verra quelque peu déstabilisée, avant que de trouver progressivement sa voie. L'information manquerait de précision si nous ne mentionnions pas, à cette occasion, que la jeune femme aura à se heurter longuement à un véritable mur d'incommunicabilité, au niveau de son proche entourage. A l'image d'autres schismes du même acabit, dont des chapitres antérieurs gardent trace, celui-ci prit sa source dans la détestable réputation qui me précédait.

            Cette réputation connaissant toujours plus de difficultés à rendre l'âme qu'à éclore, Lucette et moi rendons grâce à Karzenstein d'avoir régulièrement opéré une limitation quantitative dans la constitution continue du cercle de nos intimes. Elle limita, par là même, nombre de complications qui n'auraient pas manqué de survenir et dont Elle seule, et bien sûr ses semblables, connaissaient l'acuité. Peut-être faut-il rappeler à ce propos la phrase émise par Rasmunssen lors de l'été 1978 :

            - Votre réussite en matière artistique aurait pu changer démesurément le cours des choses.

            En ratifiant l'interprétation de cette thèse, nul ne s'étonnera que la période que rapportent les lignes suivantes s'englobe dans ce même schéma existentiel. Présentement donc, hormis Jean Platania, Camille Einhorn et, à un degré moindre, ma belle-soeur Béatrice et Dakis, nul ne peut prétendre participer, de façon assidue et pratique, à l'exceptionnel apport initiatique des Visiteurs de l'Espace/Temps. A cet égard, rappelons également que, face à une évidente recrudescence de phénomènes paranormaux de tous ordres, j'avais conseillé aux intéressés de se tenir un peu à l'écart de tout ce qui se voulait attenant à cette qualité de choses à vivre.

            Néanmoins, ce point de détail appliqué, rien n'interdisait que nous effectuions, plus ou moins inopinément, d'autres rencontres qui se scelleraient progressivement en solide amitié. L'échange humain vécu alors enclencherait, au fil de la décennie à venir, ce que j'appellerai d'abord un courant de pensée à but évolutif dont Karzenstein métamorphosera la terminologie en courant initial de pensée dans ce que ce récit saura aborder en temps choisi.

            Parmi ces amitiés naissantes, notons Pierre Boglione et Félix Quartararo, dissimulant assez piteusement, derrière une aversion profonde de la société, des sentiments empreints d'une grande fraternité. Le premier nommé (que nous avons baptisé Pierrot) est un des maçons qui oeuvre à remettre en état notre prochain logis. Quarante-neuf ans, dont plus de trente à s'adonner au dur labeur d'ouvrier du bâtiment, n'ont pas véritablement usé cet homme qui est le sosie de Jean-Roger Caussimon. Il est, du reste, la copie conforme du grand comédien, tant pour la compassion qu'il nourrit à l'égard de l'humanité que pour le sens artistique qui l'anime dans son travail. Du fait, suite aux heures qu'il accomplit pour l'entreprise de travaux publics qui l'emploie, il s'applique, chaque fin de semaine, à peaufiner avec un goût incontestable, contour et surface d'un ensemble avouant plus de trois siècles d'âge. Il argue, afin de justifier l'engouement qu'il consacre à cette tâche, que notre maison, une fois restaurée, sera un lieu de rassemblement et de convivialité. Dussé-je choquer l'athéisme dont Pierrot se prétend, je ne puis m'interdire, eu égard à cette prophétie (réalisée depuis), de dédier à cet homme de coeur ce qui se voulut en son temps une autre prophétie : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.

            Je la rétrocède ici, tout à fait humblement, en tant que citation et n'en revendique rien d'autre qu'un effet de transcendance, inhérent à l'élan d'harmonie transmis par ceux qui viennent de l'inspirer. Par ailleurs, au lecteur qui s'entêterait à considérer qu'il existe un hasard, je confierai pour la petite histoire, que Pierrot connaît très bien Jimmy Guieu qu'il côtoya dans ses jeunes années à Aix-en-Provence. D'ailleurs, ce dernier le reconnaîtra d'emblée, lors d'une visite qu'il me rendra dix années plus tard, à l'occasion du tournage de la vidéocassette résumant une partie de ce livre[1]. Mais reprenons plutôt le cours des événements.

            Le second personnage cité voici quelques instants, ne m'est, quant à lui, pas inconnu (et la réciproque est tout aussi vraie) au moment où l'existence nous met face à face, dans la salle d'attente du cabinet médiumnique de Dakis. Ce dernier m'a mis au courant des rapports amicaux qu'il entretenait avec Félix Quartararo, non sans me confier qu'il lui avait narré, à diverses occasions, l'aventure vécue en compagnie des Pantel. Le personnage m'a été présenté par Jean-Claude comme un ancien repris de justice repenti, auquel il apporte son aide pour le faire rompre avec un tumultueux passé . En vérité, l'ami Jankis n'a pas eu trop à forcer la main de l'ex hors-la-loi dont la remise en cause se veut surtout motivée par une voix qu'il a entendue pendant qu'il purgeait sa peine à la maison d'arrêt de La Santé.

            Cette voix, Félix l'attribue jusqu'alors à son jeune frère disparu à l'orée de l'adolescence, quelques années auparavant, consécutivement à un geste plus malveillant que maladroit (!), effectué par un compagnon d'âge manipulant une arme à feu.

            Que ceci nous autorise à ouvrir une parenthèse au sujet des voix parvenant de "l'au-delà" et qu'on associe à celles de personnes défuntes (le plus souvent de son proche entourage). La chose, quelquefois mise en pratique par l'intermédiaire de médiums, s'enferme même dans l'appellation de "conversation spirite"  et fait alors l'objet des fameuses séances de "spiritisme". Celles-ci se déroulent, soit autour d'un guéridon où s'interprètent les sons émis par le meuble "circonstanciellement" utilisé, soit sous forme d'écriture, dite "automatique", réalisée par le médium alors présent (d'ailleurs, un chapitre du tome précédent narre succinctement ce que pour ma part je vécus et ressentis au cours d'une expérience de ce genre, lors d'une soirée organisée chez Colette Tiret, une femme médium[2]). 

            Jigor, puis Rasmunssen, dans des conversations qui ne firent d'ailleurs pas l'objet d'un Texte mais qu'il est peut-être bon présentement d'adjoindre au Message, ne réfutèrent pas le phénomène mais nous en donnèrent une version plus élaborée. Disséquons-la en nous référant à des recoupements émanant d'autres dires des Etres de Lumière.

            Ainsi, il nous fut indiqué que les personnes décédant, sont pour la plupart destinées à "revivre" (souvenons-nous qu'il nous fut même précisé ultérieurement, à ce propos, que les termes réincarnation comme résurrection se voulaient impropres et que seul le mot revie se justifiait). Or, cette revie n'est (nous l'avons commenté avec Virgins en juin 1978) qu'une continuation des principales cellules dont nous avons appris qu'elles ne périclitent pas. Celles-ci s'expriment (vraisemblablement après un processus les amalgamant, voire les réamalgamant) à travers des mémoires ou autres réminiscences, donnant accès à des états de conscience que nous situons en tant que reviviscences mémorielles.

            Nous pouvons assimiler l'effet majeur de l'expression de la chose en la sensation plus ou moins tangible (quoique très occasionnelle) d'avoir déjà fréquenté tel lieu ou vécu telle situation (et ce, sans que cela puisse concrètement se vérifier dans le déroulement antérieur des faits vécus dans ce que les Visiteurs de l'Espace/Temps nomment notre vie consciente du moment). Dans la mesure où cette reconduction d'existence - que Virgins et les siens appellent donc revie - s'effectue sans souvenance d'une identité précise, il n'y a pas de raison de concevoir que l'identité de la personne disparue se prolonge au-delà de la mort et se permette, à ce titre, des incursions dans la dimension qu'elle vient de quitter.

            Jigor nous invita donc à réviser nos concepts en la matière et sut incidemment nous amener à déduire que tout contact spirite se produisant, n'autorisait nullement à converser avec des morts, mais avec des entités évoluant dans un monde parallèle. Rasmunssen compléta plus tard ce raisonnement en ajoutant qu'afin de ne pas effrayer et par ce, de rassurer le contacté, ces entités empruntaient le patronyme de quelqu'un de la connaissance dudit contacté. Cependant, une fois admis qu'en marge de leur identité précédente, la plupart des individus reviennent en ce bas monde (corroborant le postulat parfois un peu trop simplificateur des "vies antérieures"), d'aucuns pourront s'interroger sur ce qu'il advient aux autres.

            Là, il convient de se reporter aux conversations du début de l'année 1974[3], où il nous fut enseigné qu'il existe des individus voués à devenir des Etres. Suite à ce qui semble se définir comme une récupération "postmortelle" par des espèces d'ordre supérieur avec lesquelles ils assument ce nouvel état, rien n'interdit de songer qu'une certaine continuité sait alors s'exercer selon des caractéristiques ayant trait à nos normes. Ces individus seraient donc susceptibles de conserver (à condition que ceci revêtît une importance particulière) le patronyme qu'ils portaient au cours de leur dernier amalgame cellulaire.

            Du reste, si cette virtualité se métamorphose en pure réalité avec le cas de Rasmunssen, la première partie de cet ouvrage fait état d'autres exemples (célèbres chez notre espèce) auxquels on peut se référer si l'on s'attelle à relire les résumés des premiers contacts de l'année 1974[4]. Nous citerons pour mémoire de façon chronologique : Platon, Dante ou encore Léonard de Vinci, dont les ésotéristes assurent même qu'ils "entrèrent en communication" avec Victor Hugo, lors de ses exils à Jersey, puis à Guernesey.

            Fermer cette parenthèse me conduit à reproduire ici un poème qui me tomba sous la main (l'expression est on ne peut plus appropriée) quelques semaines après. Effectivement, alors que du rayon haut placé d'un magasin spécialisé, je tentais d'extraire un livre de poésie française recouvrant les oeuvres de nos poètes sur plusieurs siècles, le recueil chut à mes pieds. Le très hasardeux hasard fit que l'ouvrage s'ouvrit à sa réception sur le sol et que je le ramassai à la page où il s'était ouvert. L'effet de surprise, tant de fois éprouvé, aviva ma curiosité sans que je puisse prétendre avoir émis, sur ces entrefaites, un sentiment particulier quant à la cause de l'événement, laquelle ne manqua pas de se dévoiler ensuite. Mon attention se porta spontanément au-dessus du titre, sur le nom de l'auteur : Jules Lefèvre-Deumier.

            Parcourant alors des yeux ce qui était, en quelque sorte, son curriculum vitae, je découvris que cet adepte du "romantisme" (qui n'était pour moi qu'un illustre inconnu) avait été apprécié par ses pairs. Ainsi, le plus célèbre d'entre eux, Victor Hugo, sans se montrer dithyrambique à son égard, n'hésitait pas à reconnaître à Lefèvre-Deumier "un vrai talent". Quoiqu'il en soit, il ne convient pas, en ce qui nous concerne, de nous livrer présentement à un quelconque exercice d'esthétisme, mais bien d'opérer le recoupement qui s'impose par rapport à ce qui vient d'être traité, à travers ce poème qu'un sentiment de complicité m'engagea à transformer en chanson :

 

                 LES BLOCS ERRATIQUES 

       

Oui, lorsque de son âme entr'ouvrant les abîmes,

On en tâte des yeux les profondeurs sublimes,

Et qu'on en suit en soi les flux et les reflux,

Nous y voyons souvent, entiers ou vermoulus,

Se dresser devant nous des quartiers de pensée

D'une date inconnue, ou du moins effacée,

Qui merveilleux d'aspect ou d'un sinistre abord,

Nous semblent avec nous n'avoir aucun rapport,

Et sont on ne sait comme, implantés dans nos têtes,

Y sont-ils arrivés portés par des tempêtes,

Qui, sans nous en douter, nous ont jadis surpris,

Et sont-ils demeurés debout dans nos esprits

Comme autant de témoins de quelque ancien naufrage ?

L'homme qui vit n'est-il, épave d'un autre âge,

Qu'un reste transformé de l'homme d'autrefois,

Qui sous un joug nouveau vient subir d'autres lois ?

L'homme, semblable en tout au globe qu'il habite,

A-t-il, comme ce globe à décrire une orbite,

Et chaque époque en lui, comme sur son berceau,

Laisse-t-elle, en fuyant, la marque de son sceau ?

De poussière en poussière, essence vagabonde,

A-t-on déjà vécu, lorsque l'on vient au monde,

Et ces rêves, qu'on prend ici pour des hasards,

Ne seraient-ils en nous que des reflets épars,

Que des rayons perdus d'une mémoire éteinte,

Que rallume un regard, que ravive une plainte ?

C'est ce que nous saurons peut-être quelque jour,

Quand, ayant ici-bas achevé notre tour,

Nous sentirons que l'âme, enfin libre et ravie,

Touche au dernier relais de sa dernière vie.

                            

               Jules Lefèvre-Deumier


 

            Si cette oeuvre remarquable exprime la diversité de la Vie, de par les différents positionnements existentiels qu'elle nous impose, elle ne facilite en rien la gestion de ce que les Visiteurs de l'Espace/Temps appellent la rupture. Et à ce sujet, la famille Platania ne nourrit plus beaucoup d'illusions à l'égard de la maladie du père de Jean : l'issue se veut fatale et les jours du malheureux sont désormais comptés.

            Nous avons rendu visite au malade et, à cette occasion, j'ai eu vent d'une discussion entre Jean et l'un de ses frères (celui qui, l'on s'en souvient, avait eu accès aux Textes), au cours de laquelle notre ami, devant l'abattement de son aîné, s'est laissé aller à dire :

            - A présent, il ne reste plus que Jean-Claude pour sauver notre père...

            Associé à l'effet d'un grand chagrin bien compréhensible, ceci sous-entendait une intervention karzensteinienne car Jean était bien évidemment au courant de la guérison, quelque treize années auparavant, de Chantal Varnier. Saura-t-on jamais combien ces situations me sont difficilement supportables, à travers les problèmes de conscience qu'elles me posent !

            Mon mal à l'homme se veut en effet exacerbé par les effets d'une vocation dont je saisis avant tout qu'elle m'afflige : impuissant que je me sens, que je me sais, face à tous les maux que génère la condition humaine. C'est sans nul doute au regard du bouleversement dans lequel les souhaits de Jean m'ont laissé, que Karzenstein intervient à brûle-pourpoint, quelques jours plus tard.

            Je n'ai point besoin, à cet instant, de formuler la question qui me démange les lèvres car l'Etre de Lumière développe aussitôt :

            - Une situation provoquée est toujours provisoire, la Situation Etablie, elle, s'exprime dans la continuité. Dans ce cas précis de prolongement de vie consciente, il faut admettre la futilité qui entourerait cet état de choses. Voyez pour votre amie Chantal ! Encore que l'exemple soit mal approprié à la situation présente, en la simple raison de l'intensité existentielle vécue par l'intéressée, pendant le temps imparti et modifié par Jigor : temps chronologique, cela s'entend... Nous vous avons dit "l'exemple est inhérent à celui qui le vit", cela convient pour tout... je dis bien pour tout !

            Dans le cas d'une disparition, je veux dire de perte de consistance d'une enveloppe charnelle, c'est l'entourage, par les choses vécues ensemble, qui se sent malheureux. La chose en soi est inutile puisque les principales cellules demeurent. L'entreprise qui pourrait assumer le mieux la situation serait la cessation de la vie consciente de l'entourage, étant entendu que l'individu initialement condamné, entre guillemets, demeure insensible à la disparition dudit entourage.

            Nous naviguons là en plein absurde. Jamais une situation provoquée n'a pris le pas sur une Situation Etablie. Cela doit clore angoisses et doutes...

            Le raisonnement par l'absurde de Karzenstein est on ne peut plus adapté à tout ce qui relève précisément de l'absurde dans la situation. Prolonger la durée d'une vie au nom de qui ou au nom de quoi ? De cet amour dont on sait qu'il partage, qu'il divise, qu'il exclut, puisqu'il s'agit bien, en la circonstance, de l'émission d'un voeu ne visant que l'exaucement d'un privilège à l'égard d'un proche. Cependant, nous y apprenons, de façon officielle, qu'il y eut intervention de Jigor dans le cadre de la maladie de Chantal Varnier. Ceci interpelle inévitablement puisqu'il nous a été signifié qu'une vie est égale à une vie. Avec sa spontanéité légendaire, Karzenstein argumente alors qu'il y a, dans ce distinguo sous-jacent, une intensité existentielle particulière, propre à ce qui représente le vécu de celle qui est devenue, depuis, Madame De Rosa. Le pressentiment que je nourrissais se confirme en relevant, tout de suite après, que les Etres de l'Espace/Temps possèdent ce pouvoir de modifier certaines données du temps qui nous est imparti. Karzenstein précise à ce sujet qu'il s'agit là de temps chronologique. Il nous est donc permis, à ce propos, de revenir sur cette notion de Temps que nous avions abordée au cours d'un entretien qui s'était déroulé au terme du mois de février 1978.

            Nous nous étions rendus compte, à l'époque, qu'il convenait de nuancer à l'égard de l'unité de mesure principale de notre existence : que le Temps dont avaient fait état ces Etres n'était pas le même que celui qu'Ils nous préconisaient d'annihiler. Aujourd'hui, nous sommes en droit de concevoir que le Temps, selon la conceptualisation qu'Ils lui octroient, n'exprime pas seulement une durée, mais plus globalement, une dimension où se répertorieraient nombre de paramètres de la Loi des Echanges. Parmi ceux-ci, pourquoi ne pas y inclure celui de la fameuse intensité (inhérente à chacun) qui caractérise ici la différenciation qu'il convient d'opérer entre Chantal et le père de Jean ? Avant de clore ce récit, nous aurons maintes fois le loisir d'aborder ce qui constitue l'un des fondements, sinon le fondement même de l'Existence ; aussi, nous allons revenir au dialogue qui nous intéresse actuellement.

            Après avoir veillé (de la manière qui vient d'être décrite) à produire une atténuation de la douleur et du chagrin que dispense la disparition d'un être cher, Karzenstein utilise une formule plus injonctive pour m'impliquer dans ce qui m'anime :

            - Vous avez déduit suffisamment de choses, en ces derniers cycles annuels !.. Maintenez la pression en ce que vous nommez hygiène de vie ! Faites valoir à vos amis, puisque là il s'agit de votre vocation, faites valoir à vos amis la beauté d'un paysage à son éveil, en leur conseillant, surtout par temps froid, de se lever tôt : cela vaut mieux que de veiller pour regarder des images dont le sens est demeuré en sa vérité d'origine, à savoir son décor géologique...[5] 

            Exigez ! Car le moment est venu d'exiger de ceux qui veulent aller plus loin en eux-mêmes : la souffrance, l'hygiène de vie, l'accomplissement de soi, tout ce qui conduit à la rencontre avec soi-même !

            Bannissez la concentration attentive entraînant une inaptitude à assumer l'agression du "vrai" que certains instants ne manquent pas d'assurer... L'image cinématographiée, voire l'image littéraire, ne conduisent à rien puisque les choses exprimées sont dépassables, contrairement aux choses vraies !..

            Les cycles annuels à venir vont faire mettre en pratique ce que vous avez découvert, en leur temps. Courez et faites courir chaque jour!.. Vous savez maîtriser l'excès : douze kilomètres suffisent. Aller au-delà doit faire état de projection contrôlée...

            Assimilons cette "projection contrôlée" à l'élaboration d'un procédé de conditionnement et attardons-nous à ce qu'a résumé, par ailleurs, notre interlocutrice. Nous remarquerons tout d'abord que Karzenstein, dont il est acquis depuis longtemps qu'Elle est "l'instigatrice" de tout l'Enseignement que nous recevons, ne participe que très ponctuellement aux échanges verbaux prolongés qui pourvoient à cet Enseignement. Elle opère le plus souvent par "phrases-clés" (tel que se plaisait à le souligner Gérard Pietrangelli) ; je dirai, sinon, qu'Elle ne se "dérange" que lorsqu'une situation s'avère paroxystique.

            Nous énumérerons à ce propos son discours sur le point de non-retour de mars 1978, puis l'exposé qu'Elle fit, un an plus tard, sur le suicide (suite à celui de Gérard Pietrangelli) et enfin aujourd'hui, ce Texte qu'Elle vient de nous soumettre, très talentueusement, afin que nous scindions bien, une fois pour toutes, Situation Etablie et situation provoquée. Délaissant l'Absolu, dans ce que nous considérerons être sa démultiplication, Karzenstein, vraisemblablement pour m'ôter toute idée "culpabilisatrice" par rapport au décès prochain du père de Jean, s'attelle alors (sans doute par effet compensateur) à m'impliquer dans la gestion collective de ce que vit mon entourage. Ce faisant, Elle "réhumanise" comme il se doit, ce rôle inhérent à ma vocation.

            Ledit rôle (nous l'expérimenterons encore) a une fâcheuse tendance à subir, de la part des miens, des débordements à teneur plus ou moins mythique, pour ne pas dire mystique : Rasmunssen (tel que je l'ai déjà signalé) abordera cet aspect de la chose ultérieurement. Ce n'est pas trahir la chronologie du récit que de signaler ici que l'ancien Druide, au seuil de mes quarante ans, fera état, en la matière, d'un charisme dit existentiel. L'opportunité de développer ce paramètre fondamental dans le fonctionnement de ma vocation anthropocentrique, viendra à son heure. En attendant, c'est au nom de cet élément extrasensoriel que Karzenstein m'exhorte à faire montre de davantage de véhémence à l'égard de ceux qui désirent accéder à eux-mêmes.

            Elle évite charitablement de nommer qui que ce soit, les personnes concernées ne pouvant manquer de se reconnaître à travers l'énoncé de certaines activités spécifiques. Sans doute fait-Elle référence à l'insidieuse immobilité stagnante (révélée lors de la conversation de décembre 1979, puis remise à l'ordre du jour une année plus tard) quand Elle conseille de bannir la concentration attentive que réclament les visualisations d'images. Karzenstein fait allusion à ce propos aux séances de cinéma, de télévision, voire aux projections de diapositives précitées qui figent tout ou presque ce qu'elles peuvent transmettre de vrai. Il en va de même pour la lecture (image littéraire) et, par dérivé, pour chaque exutoire artificiel qui exclut de faire corps avec la souffrance dont il nous fut communiqué qu'elle est le synonyme d'être.

            L'Etre Spatio-Temporel souligne, du reste, que ce genre de démarche occasionne des veillées prolongées, lesquelles vont à l'encontre de l'incontournable hygiène de vie, qui, dans la connaissance de soi qu'elle véhicule, nécessite un lever matinal. Karzenstein surenchérit même, étant donné que nous sommes en hiver, qu'il convient surtout d'affronter les rigueurs de la température, afin que nous nous rendions aptes à assumer l'agression des éléments naturels.

            Alexis Carrel (trop facilement accusé d'eugénisme) revendique une démarche du même aloi lorsqu'il incite à un retour aux sources afin de nous déconditionner de ce mode de vie sybaritique et combattre, conséquemment, cette fragilisation qui s'est emparée de l'homme moderne[6]. Avant de clore le résumé de ce Texte, je souhaite m'attarder encore un peu sur la nuance importante dont il convient de tenir compte à propos des diverses formes d'expression que peut prendre la fameuse concentration attentive. En effet, une perspicacité cédant à l'empressement, risquerait peut-être de jeter une ombre à tendance contradictoire sur la formulation qu'utilise Karzenstein dans ce domaine mal établi de l'attention contemplative. Ainsi, l'Etre de Lumière prônant à Jean (afin qu'il contrôle ses humeurs) de regarder se consumer des bougies, avant de nous inviter au bannissement de la concentration attentive, ne fait rien d'autre que de nous engager à être précisément... attentifs.

            Tel qu'un paragraphe antérieur sait le conseiller, nous constaterons (en nous reportant au dialogue de décembre 1979) qu'il y est fait mention d'immobilisme par opposition à l'immobilité. L'un symbolise, à n'en pas douter, la méditation, l'observation qui aident à parfaire la connaissance, tandis que l'autre s'identifie au laxisme, à l'inertie et, dans la stagnation qui en résulte, limite toute évolution éventuelle.

            Je ne tiens pas à m'appesantir, pour l'heure, sur l'expérience vécue par Jean, en traitant de critères qui, en filigrane, dessinent déjà certains facteurs évolutifs évoqués ou sous-entendus dans le présent dialogue. Ceci fera l'objet d'un prochain Message, au gré duquel Rasmunssen nous donnera d'apprendre à disséquer concrètement cet état de fait, permettant à tout un chacun d'entériner ma modeste conclusion de l'heure.

            Janvier, pour ce qui nous concerne, s'est achevé un dimanche à Toulon, où mon père et moi avons, une fois de plus, conversé sur des sujets qui auraient fort dérangé les préceptes qu'il cultivait naguère. J'ai, de la sorte, pu remarquer que tout ce que nous avions ébauché ensemble, à diverses occasions, ne l'avait pas été en vain. Très ouvertement, mon père, à présent, n'hésite plus à faire l'apologie de ma disponibilité et de celle de Lucette. Toutefois, c'est seulement à cette indépendance, vis-à-vis de toute vie professionnelle, qu'il attribue l'éclosion de la progression évidente, que je manifeste à ses yeux. Il avoue néanmoins, non sans une certaine dose d'humour, que le seul véritable regret qu'il nourrisse est celui de ne pas avoir été mis à la retraite trente ans auparavant.

            L'heure de se retirer du travail sonne alors également pour Camille Einhorn, à l'égard duquel le docteur Quilichini vient de réclamer la mise en invalidité : le père de Stéphane Mikhaïlov a effectivement de plus en plus de mal à donner le change aux exigences qu'impose le mode de vie de notre société. Faut-il y voir une sorte d'effet boomerang que provoqueraient les Textes ? Cette hypothèse, qui naguère se serait avérée plausible, relève désormais tout bonnement du probable car force est de convenir qu'un individu n'a plus la même conception de l'existence avant et après avoir eu accès au Message des Visiteurs de l'Espace/Temps.

            A preuve, une nuit, aux environs de vingt-deux heures, ma belle-mère vient frapper à notre porte pour m'inviter à venir chez elle, répondre au téléphone, sans davantage de précision. Il arrive parfois que, du fait que nous ne possédons pas encore de ligne téléphonique, l'on nous joigne sur celle de mes beaux-parents, mais ceci ne s'est encore jamais produit à un horaire aussi incongru. Après m'être vêtu plus chaudement pour traverser le verger qui sépare les deux maisons, je me rends donc au domicile des Auzié, où j'ai la surprise d'entendre à l'autre bout du combiné la voix de Nicole Mazzarello. L'épouse de Patrick semble dans tous ses états : elle prétend que ce dernier a perdu la raison, qu'il ne rentre à leur domicile qu'à des heures indues, passant ses nuits à jouer au poker. Je parviens tout juste à la calmer lorsqu'elle me confie qu'il a été jusqu'à revendiquer le devoir de mettre fin à ses jours, s'il n'y avait eu alors matière à déstabiliser leur fille Emmanuelle et... Jean-Claude Pantel !

            Il ne fait pas l'ombre d'un doute que si Nicole m'a appelé de la sorte au secours, c'est bien parce qu'elle détient la conviction que je porte l'entière (ou la presque entière) responsabilité du désarroi dans lequel se débat son mari. Comme l'on est en droit de l'imaginer, cette réaction a de fortes chances de se voir imputée à la teneur du Message que notre ami possède (sans véritablement le posséder). Concédons que ce Message, que Patrick ne détient toutefois pas dans son intégralité, rend bien mièvres les préoccupations du quotidien, auxquelles tout le monde se trouve plus ou moins confronté. Après avoir promis à la malheureuse jeune femme de tout mettre en oeuvre pour rétablir une situation bien délicate, je m'ouvre de tout cela à Lucette qui me conduira au cabinet d'avocats de notre ami, dès le lendemain matin. Une longue discussion s'ensuivra alors, qui réconciliera, momentanément, les Mazzarello sur l'essentiel de leur vie de famille, mais qui saura également mettre en exergue combien Gérard Pietrangelli avait raison lorsqu'il me disait en aparté :

            - Ces Textes sont de la dynamite !

            Dès cet instant, hormis Guy Roman et Félix Quartararo, il va s'écouler dix années avant que je ne me sente le droit de donner les Textes à de nouvelles personnes. Jean les délivrera, dans certaines circonstances qu'il jugera propices : et encore le fera-t-il très parcimonieusement... Pourtant, plus que jamais je me consacre à leur lecture et à leur analyse et, peu à peu, de par l'effet de ce que je considère être une maturation, va s'opérer la mise en forme qui seyait le mieux à la chose, au moyen du mode d'expression qui ne m'a jamais quitté : la chanson.

            Cette métamorphose se déclenche à la suite d'un accident musculaire qui va m'interdire la pratique de la course à pied, durant six semaines. Je me suis occasionné une déchirure à la ceinture abdominale et notre ami médecin, Humbert Marcantoni, m'a convié à respecter un repos total assorti de soins chez un professeur de kinésithérapie : Francis Berthelin. Ce dernier, bien qu'il exerce ses activités à Marseille (au troisième étage de l'immeuble où professe également Marcantoni), habite... Auriol où il est propriétaire d'un domaine de sept hectares, sur lequel est sise sa superbe et immense demeure. Ni lui ni moi ne savons encore qu'il va, peu de temps après, louer une partie indépendante de sa maison à... Jean Platania.

            Que l'on se sent petit face à tant de "fortuité" organisée ! Nous évoluons bien sur un échiquier cosmique et Jimmy Guieu avait vu tout à fait juste en déclarant que nous n'en étions que les pions !.. Dois-je ajouter que nous sommes bien loin d'être au bout de nos surprises, en la matière ?

            Me voilà donc immobilisé et devisant plus que de coutume sur le contenu des Textes avec Camille Einhorn qui, ainsi que je l'ai déjà évoqué, est, sur ces entrefaites, en train de devenir (à son insu) l'inspirateur du "Voyageur de l'Orage". Précisons qu'à propos de l'écriture des chansons qui vont constituer le corps de ce qui se veut aujourd'hui un "spectacle musico-picturo-théatral", cette dernière va s'échelonner sur plus d'une décennie. Ceci n'empêche aucunement que, sans que nul ne soit conscient de la mise en oeuvre proprement dite, c'est au cours de ce mois de février 1982 que Camille va me révéler au cheminement que je me dois d'effectuer par rapport à cette initiation qui m'a échu.

            Plus le "comité d'étude" s'avère restreint, plus ce que dispense le Message se révèle "limpide" ; aussi, sans privilégier à tout prix le tête-à-tête, Camille et moi nous cantonnons souvent dans un rôle de duettistes. Le cercle n'est fermé à personne puisque Lucette et Christophe (le cadet des Einhorn) se joignent parfois à nos dissertations verbales, lesquelles s'épanchent aussi bien autour d'une table, qu'en ramassant des fagots de bois mort, dans la forêt voisine de la Sainte-Baume. Nous tentons en ces circonstances d'élaborer un sens pratique à ce que "mes guides" m'enseignent. Baptisés les Atlantes par Gérard, appelés les extraterrestres (quelquefois même les "intraterrestres") par d'autres, Camille a trouvé cette jolie définition pour les Visiteurs de l'Espace/Temps : il les qualifie de guides et il me les approprie...

            Et c'est ainsi que nous remontons le cours de l'Histoire de l'Homme, au fil des événements, nous concédant sans vergogne des incursions dans les mythes et légendes, qui transforment parfois l'histoire en épopée. De là à rejoindre les péplums de mon adolescence, il n'y a qu'un pas que je franchis sans coup férir, et c'est précisément ce point qui détermine Camille à m'interroger sur les statues de bronze ornant notre maison. Tel que des chapitres antérieurs l'ont relaté, il y a, bien évidemment, un rapport étroit entre l'engouement que mes jeunes années portèrent à tout ce qui avait trait à l'ère antique (films, bandes dessinées, contes historiques ou légendaires) et le goût que je manifeste pour les reproductions statufiées des figures de l'époque. C'est en m'invitant à me poser des questions plus précises, sur ce fait, que Camille vient d'enclencher le processus de complétude qui va me conduire à réaliser que les dieux de l'Antiquité ne personnifiaient rien d'autre que nos voisins des mondes parallèles.

            Désormais, peu à peu, les points de recoupement de diverses périodes de l'humanité vont me porter à adapter musicalement tout ce qui ne représente que la constance des événements, en la discontinuité de nos existences.

 

 



[1]  Voir la K7 N°9 "Contacts Espace/Temps : Jean-Claude Pantel et ses étranges visiteurs".

[2]  Voir le Tome 1 de cette histoire "L'Initiation" chapitre 13.

[3] Voir le Tome 1 de cette histoire "L'Initiation" chapitre 18.

[4] Voir le Tome 1 de cette histoire "L'Initiation" chapitre 18.

[5] Karzenstein fait ici état de certaines soirées au cours desquelles Béatrice, voire Dakis de son côté, commentaient, avec des camarades, des prises de vues de voyages ou d'excursions qu'ils avaient réalisées à diverses périodes.

[6] Se référer à l'ouvrage d'Alexis Carrel : "L'homme cet inconnu".

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